Réseau Alma : observation d’un moment-clé de la naissance des planètes géantes

Pour la première fois, des astronomes utilisant le grand réseau d’antennes millimétrique/submillimétrique ALMA [1] ont pu observer un moment clé de la naissance des planètes géantes. D’importants écoulements de gaz se déversant à travers un espace vide dans le disque de matière qui entoure une jeune étoile. Il s’agit des premières observations directes de tels écoulements, que l’on suppose être engendrés par l’alimentation en gaz des planètes géantes au cours de leur croissance. Le résultat de ces observations est publié dans l’édition de la revue Nature du 2 janvier 2013.

Cette vue d’artiste montre le disque de gaz et de poussière cosmique autour de la jeune étoile HD 142527. Des astronomes utilisant le grand réseau d’antennes millimétrique/submillimétrique ALMA (Atacama Large Millimeter/submillimeter Array) ont observé d’importants écoulements de gaz se déversant à travers un espace vide dans le disque. Il s’agit des premières observations directes de tels écoulements, que l’on suppose être engendrés par la consommation de gaz des planètes géantes au cours de leur croissance et qui constituent un moment clé de la naissance des planètes géantes. Crédits : ALMA (ESO/NAOJ/NRAO)/M. Kornmesser (ESO)

Une équipe internationale d’astronomes a étudié la jeune étoile HD 142527, située à plus de 450 années-lumière de la Terre. HD 142527 est entourée d’un disque de gaz et de poussière cosmique, restes du nuage à partir duquel cette étoile c’est formée. Le disque de poussière est divisé en une partie interne et une partie externe séparées par un espace vide que l’on suppose avoir été creusé par des planètes géantes gazeuses récemment formées, nettoyant leurs orbites au cours de leur révolution autour de l’étoile. Le disque interne s’étend de l’étoile jusqu’à une distance correspondant à l’orbite de Saturne dans le système solaire alors que le disque externe commence environ 14 fois plus loin. Le disque externe n’entoure pas l’étoile de manière uniforme, mais il a plutôt une forme de fer à cheval, probablement à cause de l’effet gravitationnel des planètes géantes en orbite.

Selon la théorie, les planètes géantes grossissent en absorbant le gaz du disque externe par des écoulements qui forment des ponts au travers de l’espace vide du disque.

« Les astronomes avaient prédit l’existence de ces écoulements, mais c’est la première fois que nous avons pu les observer » explique Simon Casassus (Universidad de Chile, Chili), responsable de cette nouvelle étude. « Grâce au nouveau télescope ALMA, nous avons été capables de réaliser des observations directes confirmant les théories en vigueur sur la formation des planètes ! »

Casassus et son équipe ont utilisé ALMA pour regarder le gaz et la poussière cosmique autour de l’étoile, l’observant de manière plus détaillée et à plus grande proximité de l’étoile que ce n’était possible avec les précédents télescopes de ce type. Les observations d’ALMA, dans les longueurs d’onde submillimétriques sont également insensibles à la lumière éblouissante de l’étoile qui pose problème aux télescopes observant dans le visible ou l’infrarouge. L’espace vide dans le disque de poussière était déjà connu, mais ils ont également découvert du gaz diffus subsistant dans cet espace, et deux écoulements plus denses de gaz se déversant du disque externe vers le disque interne en traversant cet espace.

« Nous pensons qu’il y a une planète géante cachée là et qu’elle est la cause de ces deux écoulements. Les planètes grossissent en absorbant le gaz du disque externe, mais elles mangent vraiment comme des sagouins : le reste du gaz déborde et alimente le disque interne autour de l’étoile » précise Sebastián Pérez, un membre de l’équipe qui fait aussi partie de l’Universidad de Chile.

Ces observations permettent également de répondre à une autre question à propos du disque qui entoure HD 142527. L’étoile centrale étant encore en formationet absorbant de la matière dans le disque interne, ce dernier aurait déjà dû être englouti s’il n’était pas réalimenté d’une manière ou d’une autre. L’équipe a découvert que la vitesse à laquelle le reste de gaz s’écoule dans le disque interne est juste ce qu’il faut pour le maintenir rempli et pour alimenter l’étoile en train de grossir.

La détection du gaz diffus dans le trou constitue également une « première ». « Les astronomes ont observé ce gaz depuis longtemps, mais jusqu’à présent, nous n’avions que des signes indirects de son existence. Maintenant, avec ALMA, nous pouvons le voir directement, » explique Gerrit van der Plas, un autre membre de l’équipe de l’Universidad de Chile.

Ce gaz résiduel est plus une preuve que les écoulements sont causés par les planètes géantes plutôt que par des objets encore plus gros comme une étoile compagne. « Une seconde étoile aurait bien plus nettoyé cet espace vide, ne laissant aucun gaz résiduel. En étudiant la quantité de gaz restant, nous devrions pouvoir déterminer la masse des objets faisant le ménage » ajoute Sebastián Pérez.

Et, qu’en est-il des planètes elles-mêmes ? Simon Casassus explique que, bien que l’équipe ne les ait pas détectées directement, il n’est pas étonné. « Nous avons cherché les planètes avec des instruments infrarouges à la pointe de la technologie sur d’autres télescopes. Toutefois, nous supposons que ces planètes en formation sont toujours profondément enfouies dans les écoulements de gaz, qui sont presque opaques. Par conséquent, il n’y a que peu de chance de repérer ces planètes directement. »

Cependant, les astronomes cherchent à en savoir plus sur ces supposées planètes en étudiant les écoulements de gaz ainsi que le gaz diffus. Le télescope ALMA est toujours en construction et n’a pas encore atteint ses pleines capacités. Quand il sera terminé, sa vision sera encore plus fine et de nouvelles observations des écoulements devraient permettre à cette équipe de déterminer les propriétés des planètes, y compris leur masse.

Parmi les signataires de cette publication, François M/IPAGS/LFCA/IPAG) est un spécialiste de la modélisation des disques et des observations infrarouge et millimétrique. Il est directeur adjoint du Laboratoire Franco-Chilien d’Astronomie (LFCA), une Unité mixte internationale du CNRS et de l’Université du Chili, dont l’objectif est le développement de l’exploitation d’ALMA.

Source :

Cette recherche est présentée dans un article intitulé « Observations of gas flows inside a protoplanetary gap » publié dans la revue Nature du 2 janvier 2013.

L’équipe est composée de S. Casassus (Universidad de Chile, Chili ; Millennium Nucleus for Protoplanetary Disks — Ministry of Economy, Chilean Government), G. van der Plas (Universidad de Chile, Chili), S. Pérez M. (Universidad de Chile, Chili), W. R. F. Dent (Joint ALMA Observatory, Chili ; European Southern Observatory, Chili), E. Fomalont (NRAO, USA), J. Hagelberg (Observatoire de Genève, Suisse), A. Hales (Joint ALMA Observatory, Chili ; NRAO, USA), A. Jordán (Pontificia Universidad Católica de Chile, Chili), D. Mawet (European Southern Observatory, Chili), F. Ménard (CNRS / INSU, France ; Universidad de Chile, Chili ; CNRS / UJF Grenoble, France), A. Wootten (NRAO, USA), D. Wilner (Harvard-Smithsonian Center for Astrophysics, USA), A. M. Hughes (U. C. Berkeley, USA), M. R. Schreiber (Universidad Valparaiso, Chili), J. H. Girard (European Southern Observatory, Chili), B. Ercolano (Ludwig-Maximillians-Universität, Allemagne), H. Canovas (Universidad Valparaiso, Chili), P. E. Román (University of Chile, Chili), V, Salinas (Universidad de Chile, Chili).

Contact :

François Ménard | IPAG | +33 4 76 63 56 01 | francois.menard univ-grenoble-alpes.fr

[1ALMA (Atacama Large Millimeter/submillimeter Array) est un équipement international pour l’astronomie. Il est le fruit d’un partenariat entre l’Europe, l’Amérique du Nord et l’Asie de l’Est en coopération avec la République du Chili. ALMA est financé en Europe par l’ESO (Observatoire Européen Austral), en Amérique du Nord par la NSF (Fondation Nationale de la Science) en coopération avec le NRC (Conseil National de la Recherche au Canada) et le NSC (Conseil National de la Science à Taïwan), en Asie de l’Est par les Instituts Nationaux des Sciences Naturelles (NINS) du Japon avec l’Académie Sinica (AS) à Taïwan. La construction et les opérations d’ALMA sont pilotées par l’ESO pour l’Europe, par le National Radio Astronomy Observatory (NRAO) pour l’Amérique du Nord et par le National Astronomical Observatory of Japan (NAOJ) pour l’Asie de l’Est. L’Observatoire commun ALMA (JAO pour Joint ALMA Observatory) apporte un leadership et un management unifiés pour la construction, la mise en service et l’exploitation d’ALMA. Plus d’informations : http://www.almaobservatory.org