La vue la plus détaillée à ce jour de l’Univers lointain

communiqué publié le 9 juin 2015 par l’ESO

Une campagne d’observations effectuée par le réseau ALMA en configuration étendue a permis d’obtenir une image spectaculaire et détaillée à la fois d’une galaxie lointaine subissant un effet de lentille gravitationnelle. Sur cette image figure une vue magnifiée des régions de formation d’étoiles au sein de la galaxie distante. Le degré de résolution qui caractérise ces nouvelles observations est inédit. Il surpasse nettement le niveau de détail qu’offre le Télescope Spatial Hubble du consortium NASA / ESA, et révèle l’existence, au sein même de cette galaxie, de régions de formation d’étoiles semblables à la Nébuleuse d’Orion, quoique de dimensions nettement supérieures. Ce travail est le fruit d’une collaboration internationale impliquant des chercheurs français [1], des laboratoires du CNRS et des Universités française (dont l’IPAG) et de l’Institut de Radioastronomie Millimétrique (IRAM).

SDP.81, l’anneau d’Einstein et la galaxie lentille rassemblés sur une même image
© ALMA (NRAO/ESO/NAOJ) Y. Tamura (The University of Tokyo), Mark Swinbank (Durham University)

La campagne d’observations d’ALMA en configuration étendue a donné lieu à quelques résultats surprenants, et permis de recueillir des informations d’une précision inégalée concernant les “habitants” de l’Univers proche et distant. Des observations effectuées fin 2014 dans le cadre de cette campagne visaient une lointaine galaxie notée HATLAS J090311.6+003906, par ailleurs connue sous l’appellation SDP.81. La lumière en provenance de cette galaxie subit les effets d’un phénomène de lentille gravitationnelle. Une galaxie massive située entre SDP.81 et ALMA [2] agit telle une lentille en effet, déformant la lumière émise par la galaxie plus lointaine et générant un anneau d’Einstein quasi-parfait [3].

Plus de sept équipes de scientifiques [4] ont analysé, indépendamment les unes des autres, les données d’ALMA relatives à SDP.81. Cette flopée de publications scientifiques a révélé certaines caractéristiques inconnues de cette galaxie : les détails de sa structure, son contenu, son mouvement, et quelques autres propriétés physiques.

ALMA fonctionne à la manière d’un interféromètre. En quelques mots, les nombreuses antennes qui composent le réseau travaillent de concert afin de collecter la lumière, comme le ferait un télescope virtuel de vastes dimensions [5]. En conséquence, les nouvelles images de SDP.81 obtenues par ALMA sont dotées d’une résolution quelque six fois supérieure [6] à celles acquises dans l’infrarouge par le Télescope Spatial Hubble du consortium NASA/ESA.

Les modèles complexes des astronomes révèlent l’existence d’une structure fine, jamais observée auparavant, au sein de SDP.81. Cette dernière arbore la forme de nuages poussiéreux, probablement de vastes réservoirs de gaz moléculaire froid – ou lieux de naissance des étoiles et de leurs cortèges de planètes. Ces modèles ont été en mesure de corriger la distorsion géométrique générée par l’effet de lentille gravitationnelle.

Les observations d’ALMA présentent un tel degré de résolution que les chercheurs peuvent détecter, au sein de cette lointaine galaxie, des régions de formation stellaire dont les dimensions n’excèdent pas les 100 années-lumière – soit l’équivalent de gigantesques nébuleuses d’Orion produisant, à l’autre extrémité de l’Univers, de nouvelles étoiles à un rythme mille fois supérieur. C’est la toute première fois que ce phénomène peut être observé à une distance aussi élevée.

“L’image de la galaxie recomposée par ALMA est spectaculaire”, s’enthousiasme Rob Ivison, co-auteur de deux des publications scientifiques et Directeur de la Science à l’ESO. “La vaste surface collectrice d’ALMA, la grande distance qui sépare ses antennes, et la stabilité de l’atmosphère qui surplombe le désert de l’Atacama, contribuent chacune à l’obtention d’images et de spectres extrêmement résolus. En d’autres termes, les observations obtenues sont très détaillées, ainsi que les informations concernant les mouvements qui animent les différentes régions de la galaxie. Nous pouvons désormais étudier des galaxies situées à l’autre extrémité de l’Univers, au moment où elles fusionnent et donnent naissance à un grand nombre d’étoiles. C’est le genre de truc qui m’incite à me lever le matin !”

L’information spectrale recueillie par ALMA a par ailleurs permis aux astronomes de mesurer la vitesse de rotation de la galaxie et d’estimer sa masse. Les données indiquent que le gaz de cette galaxie est instable : certains amas de gaz sont en cours d’effondrement en effet, et probablement sur le point de se changer en vastes régions de formation stellaire.

En outre, la modélisation de l’effet de lentille gravitationnelle révèle l’existence d’un trou noir supermassif au cœur de la galaxie lentille d’avant-plan [7]. Les régions centrales de SDP.81 sont trop peu lumineuses pour être détectées, ce qui laisse à penser que la galaxie d’avant-plan abrite un trou noir supermassif doté d’une masse supérieure à 200 ou 300 millions de masses solaires.

Le nombre d’articles publiés à partir de ce simple ensemble de données collectées par ALMA montre l’enthousiasme suscité par le haut pouvoir de résolution et la formidable puissance collectrice du réseau. Il témoigne également du rôle majeur d’ALMA dans les découvertes astronomiques à venir et la formulation de nouvelles questions concernant la nature des galaxies lointaines.

Contact scientifique local :
 Robert Lucas, IPAG-OSUG : robert.lucas |at| obs.ujf-grenoble.fr

Cette actualité est également relayée par :
 L’European Southern Observatory - ESO (Source)
 L’Institut National des Sciences de l’Univers du CNRS - INSU

Source(s) :
Ce travail de recherche a fait l’objet de huit articles à paraître prochainement, disponibles sur Arxiv :
 http://arxiv.org/abs/1503.07605
 http://arxiv.org/abs/1503.08720
 http://arxiv.org/abs/1505.05148
 http://arxiv.org/abs/1503.05558
 http://arxiv.org/abs/1503.07997
 http://arxiv.org/abs/1503.02652
 http://arxiv.org/abs/1503.02025

[1- R. Gavazzi, chercheur CNRS à l’Institut d’astrophysique de Paris (IAP - CNRS/UPMC)
 S. Martin, de l’Institut de Radioastronomie Millimétrique (IRAM - CNRS(France)/Max-Planck-Gesellschaft(Allemagne)/Instituto Geográfico Nacional(Espagne))
 R. Lucas, astronome à l’Institut de Planétologie et d’Astrophysique de Grenoble (IPAG/OSUG - CNRS/UJF)

[2La galaxie magnifiée est observée à une époque à laquelle l’Univers n’était âgé que de 2,4 milliards d’années – ce qui représente 15% de son âge actuel. Sa lumière a donc mis 11,4 milliards d’années pour nous parvenir, ce qui représente plus de deux fois l’âge de la Terre. Pour ce faire, elle a emprunté un chemin détourné, contournant une galaxie massive d’avant-plan relativement proche en comparaison puisque située à 4 milliards d’années de la Terre.

[3L’existence des lentilles gravitationnelles est prévue par la théorie de la relativité générale d’Einstein.Selon cette théorie, les objets ont pour effet de courber l’espace et le temps. Toute lumière s’approchant de cet espace-temps courbe suit la courbure générée par l’objet en question. Ainsi donc, les objets particulièrement massifs que sont les galaxies géantes et les amas de galaxies agissent telles des loupes cosmiques. Un anneau d’Einstein est une lentille gravitationnelle particulière, qui se produit lorsque la Terre, la galaxie lentille d’avant-plan et la galaxie magnifiée d’arrière-plan sont parfaitement alignées. S’ensuit une distorsion harmonieuse, sous l’aspect d’un anneau de lumière. Ce phénomène est illustré au sein de la vidéo A de l’ESO.

[4Les équipes scientifiques sont intégralement dans le communiqué ESO.

[5La capacité d’ALMA à observer les plus infimes détails dépend de la distance entre les antennes. Dans le cas présent, la séparation maximale, soit 15 kilomètres, a été nécessaire. A titre de comparaison, des observations antérieures de lentilles gravitationnelles effectuées par ALMA alors que le réseau se trouvait dans une configuration plus compacte – la séparation n’était alors que de 500 mètres – sont disponibles ici.

[6Ces données permettent de discerner des détails de 0,023 secondes d’arc ou 23 millisecondes d’arc. La résolution atteinte par Hubble dans le proche infrarouge est voisine de 0,16 secondes d’arc. A de plus courtes longueurs d’onde toutefois, Hubble peut atteindre des résolutions supérieures – 0,022 secondes d’arc dans le proche ultraviolet par exemple. La résolution d’ALMA peut quant à elle être ajustée au type d’observations effectuées. Pour ce faire, il suffit de déplacer les antennes du réseau. Pour les besoins de cette étude, la séparation la plus grande fut utilisée, ce qui a permis d’obtenir la résolution la plus élevée possible.

[7La résolution élevée de l’image d’ALMA permet aux chercheurs de scruter le cœur de la galaxie d’arrière-plan, censé apparaître au centre de l’anneau d’Einstein. Toutefois, si la galaxie d’avant-plan abrite un trou noir supermassif en son centre, l’image centrale paraît peu lumineuse. Ainsi donc, la faible luminosité de l’image centrale renseigne sur la masse du trou noir de la galaxie d’avant-plan.