Le prix Nobel de Physique 2020 récompense les découvertes sur les trous noirs, avec des approches théorique, observationnelle et instrumentale.

Les parties centrales de notre galaxie, la Voie Lactée, observées dans le proche infrarouge avec les instruments NACO sur le VLT (Very Large Telescope) de l’ESO. En observant le mouvement des étoiles centrales durant plus de 16 ans, les astronomes ont pu déterminer la masse du trou noir supermassif qui s’y trouve. Crédit : ESO/S. Gillessen et al.

Le Britannique Roger Penrose, l’Allemand Reinhard Genzel du Max-Planck-Institute für extraterrestrische Physik (Garching, Allemagne) et l’Américaine Andrea Ghez ont reçu le prix Nobel de physique 2020 pour leur découverte sur les trous noirs, avec des approches théorique, observationnelle et instrumentale. L’Observatoire des sciences de l’Univers de Grenoble (OSUG, CNRS/UGA/IRD/INRAE/Météo-France) et l’Institut de Planétologie et d’astrophysique de Grenoble (IPAG, CNRS/UGA) se joignent à l’Institut National des Sciences de l’Univers (CNRS INSU) et à l’Observatoire de Paris pour féliciter les 3 lauréats et plus particulièrement Reinhard Genzel avec qui nos équipes collaborent depuis de nombreuses années. Reinhard Genzel (MPE, Allemagne), un des trois lauréats du Prix Nobel, a souligné l’importance de l’effort européen, dans la durée, et en particulier la contribution majeure de la France, suivant l’impulsion décisive de P. Léna [1], pour les développements en optique adaptative et en interférométrie. Les résultats européens les plus marquants menant à ce prix s’appuient notamment sur les instruments NACO puis GRAVITY auxquels de nombreux chercheurs, chercheuses et ingénieur·e·s de l’IPAG et de l’OSUG ont contribué.



Ces découvertes ont été rendues possibles en partie grâce aux instruments d’optique adaptative et d’interférométrie installés sur le Very Large Telescope (VLT) européen basé au Chili. Chercheurs, chercheuses et ingénieur·e·s sont nombreux, à l’IPAG et à l’OSUG, à avoir contribué à ces deux instruments, avec l’optique adaptative NAOS de NACO, et le développement de l’optique intégrée au cœur de GRAVITY. La contribution a concerné l’élaboration de la motivation scientifique et des spécifications clés, la réalisation, l’intégration et les tests, le support administratif, des idées tout à fait innovantes sur le concept, la réduction des données, ou encore la maîtrise et la fourniture de composants clés.

NACO (Nasmyth Adaptive Optics System), contraction de NAOS-CONICA, développé par des consortiums français et allemand avec la collaboration de l’ESO, fut le premier instrument équipé d’une optique adaptative à être installé sur le VLT, en 2001 [2]. La vision extrêmement précise obtenue avec le NACO a grandement contribué aux découvertes majeures faites avec le VLT durant la 1ère décennie des années 2000.

L’image principale de l’annonce du Nobel dans le communiqué de presse de l’ESO est une vue en infrarouge à haute résolution avec optique adaptative du centre galactique obtenue par cet instrument et sa capacité à déterminer précisément les trajectoires des étoiles proches du centre galactique. Ces trajectoires permettent de déduire la masse de l’objet central : l’explication la plus probable pour cette masse, équivalente à 4 millions de fois la masse du Soleil, est l’existence d’un trou noir central. [3]
En compensant les distorsions dues aux turbulences de l’atmosphère terrestre, l’optique adaptative permet un gain en résolution spectaculaire. NAOS a grandement augmenté la finesse des images produites par le télescope ainsi que son potentiel scientifique.

Le succès de cet instrument et l’expertise acquise ont permis par la suite le développement d’autres instruments, dont en premier lieu SPHERE, poussant encore les performances d’optique adaptative vers la détection d’exoplanètes.


Une fois la masse du trou noir estimée et l’environnement des étoiles qui l’entourent identifié, des mesures bien plus précises sont envisagées, dès les années 2000, pour tester la physique de la gravitation en champ gravitationnel fort (dans ces conditions exceptionnelles totalement irréalisables en laboratoire sur Terre) et les caractéristiques de la relativité générale. C’est dans cet objectif qu’a été développé l’instrument GRAVITY.


Mis en œuvre par un consortium européen, porté par MPE à Garching [4], l’instrument GRAVITY combine la lumière collectée par plusieurs télescopes afin de constituer un télescope virtuel dont le diamètre peut atteindre jusqu’à 200 mètres. Cette technique, baptisée interférométrie, permet aux astronomes d’obtenir des images d’objets astronomiques avec un niveau de détails supérieur à celle des images acquises par les télescopes au sol existants.

L’interférométrie permet, dans le principe, de gagner un ordre de grandeur en résolution, mais pour atteindre les objectifs scientifiques de GRAVITY, plusieurs défis ont dû être relevés, notamment pour gagner en sensibilité et en précision par rapport aux instruments précédents.

La contribution de l’IPAG dans ce projet a été essentielle. Le laboratoire a fourni l’élément d’optique intégrée central, permettant la recombinaison des faisceaux provenant des 4 télescopes.

Le composant a nécessité des développements technologiques spécifiques pour travailler dans un environnement cryogénique, à la longueur d’onde requise, et avec une précision jamais obtenue précédemment. Les composants réalisés ont été le fruit d’une collaboration de plus de 20 ans entre l’IPAG et le CEA-LETI, avec l’appui du réseau RTB.

Depuis sa première lumière en 2016, GRAVITY a enchainé les découvertes majeures et les résultats uniques autour du Centre Galactique — entre autres — avec la mesure du rougissement gravitationnel puis la précession de l’étoile S2, la détection d’une émission en rotation au voisinage de l’horizon du trou noir.

Aujourd’hui, la collaboration entre les équipes françaises et le Max-Planck-Institute für extraterrestrische Physik de Garching se poursuit autour de l’instrument GRAVITY+, qui permettra d’améliorer de plusieurs ordres de grandeur les performances de GRAVITY en termes de sensibilité et de contraste.


Sources

A lire (en anglais) sur le site du Nobel prize :
Scientific Background : Theoretical foundation for black holes and the supermassive compact object at the galactic centre (pdf)

A lire sur le site de l’IPAG :
Dix ans d’optique adaptative sur le Very Large Telescope
Le chasseur d’exoplanètes SPHERE livre ses premières images
Première découverte d’une exoplanète pour Sphère
Première lumière de la future machine à étudier les trous noirs
L’instrument Gravity confirme des prédictions de la relativité générale aux abords du trou noir super-massif au centre de la Galaxie
Première observation d’une étoile qui « danse » autour d’un trou noir supermassif
Les observations les plus détaillées de la matière orbitant à proximité d’un trou noir

Contact scientifique local

David Mouillet, directeur adjoint de l’IPAG / OSUG | david.mouillet univ-grenoble-alpes.fr

[1Pierre Léna : voir par exemple son livre “Une histoire de flou” donnant une vue d’ensemble sur les développements en haute résolution angulaire : https://www.academie-sciences.fr/fr/Membres-a-la-une/une-histoire-de-flou-pierre-lena.html

[2NAOS (Nasmyth Adaptive Optics System) a été développé par un consortium français constitué de l’Office national d’études et de recherches aérospatiales (ONERA), de l’Institut de planétologie et d’astrophysique de Grenoble (IPAG, anciennement Laboratoire d’astrophysique de Grenoble) et de l’Observatoire de Paris : Laboratoire d’études spatiales et d’instrumentation en astrophysique (LESIA, anciennement DESPA) et DASGAL (qui n’existe plus). CONICA (CONICA Near-Infrared CAmera) a été développé par un consortium allemand en étroite collaboration avec l’ESO. Ce consortium était constitué des Instituts Max-Planck pour l’astronomie (MPIA, Heidelberg) et pour la recherche extraterrestre (MPE, Garching).

[4L’instrument GRAVITY est le fruit d’une collaboration entre l’Institut Max Planck dédié à la Physique Extraterrestre (MPE, Allemagne), le LESIA à l’Observatoire de Paris – PSL / CNRS / Sorbonne Université / Univ. Paris Diderot et l’IPAG de l’Université Grenoble Alpes / CNRS (France), l’Institut Max Planck dédié à l’Astronomie (MPIA, Allemagne), l’Université de Cologne (Allemagne), le CENTRA–Centre d’Astrophysique et de Gravitation (Portugal) et l’ESO.