Le satellite Gaia repère un trou noir dormant très massif dans notre Galaxie

Communiqué de presse ESA
Credits : ESA/Gaia/DPAC, License : CC BY-SA 3.0 IGO

En parcourant l’inestimable richesse des données de la mission Gaia de l’ESA, les scientifiques ont découvert un géant "endormi". Un grand trou noir, d’une masse de près de 33 fois la masse du Soleil, se cachait dans la constellation de l’Aquila, à moins de 2000 années-lumière de la Terre. C’est la première fois qu’un trou noir d’origine stellaire de cette taille est repéré si près de chez nous. Cette découverte remet en question notre compréhension du développement et de l’évolution des étoiles massives.

La matière contenue dans un trou noir est si dense que rien ne peut échapper à son immense attraction gravitationnelle, pas même la lumière (d’où le nom de trou noir). La grande majorité des trous noirs de masse stellaire que nous connaissions jusqu’ici engloutissent la matière d’un compagnon stellaire proche. La matière capturée tombe sur l’objet effondré à grande vitesse, devenant extrêmement chaude et libérant des rayons X. Ces systèmes appartiennent à la famille d’astres appelés "binaires à rayons X". Lorsqu’un trou noir n’a pas de compagnon suffisamment proche pour lui voler de la matière, il ne produit aucune lumière et est extrêmement difficile à repérer. Ces trous noirs sont dits "dormants".

Pour préparer la publication du prochain catalogue Gaia, Data Release 4 (DR4), les scientifiques vérifient le mouvement de milliards d’étoiles et effectuent des tests complexes pour voir si quelque chose sort de l’ordinaire. Le mouvement des étoiles peut être affecté par des compagnons : des compagnons légers, comme les exoplanètes, des compagnons plus lourds, comme les étoiles, ou des compagnons très lourds, comme les trous noirs. Des équipes spécialisées sont en place au sein de la collaboration Gaia pour enquêter sur les cas "étranges".

On this sky map, Gaia’s three black holes are shown at their respective locations on the sky. Gaia BH1 was found in 2022 following Gaia’s Data Release 3, a catalogue based on 34 months of Gaia data. It is the closest black hole to Earth at 1560 light years away. Gaia BH2 was found in 2023, also using Gaia’s data release 3. At the time of its discovery, it was the second closest black hole to Earth at 3800 light years away. Gaia BH3 was found during the validation of Gaia’s preliminary data while preparing for Gaia Data Release 4, a catalogue that will be based on 66 months of Gaia data. The paper discussing the finding is published on 16th April 2024 as forthcoming article in A&A. Gaia BH3 is located at 1900 light years away, which makes it the second closest black hole known today. Credits : ESA/Gaia/DPAC, License : CC BY-SA 3.0 IGO



L’une de ces équipes était profondément engagée dans ce travail, lorsque son attention s’est portée sur une vieille étoile géante de la constellation de l’Aquila, à une distance de 1926 années-lumière de la Terre. En analysant en détail l’oscillation de la trajectoire de l’étoile, ils ont eu une grande surprise. L’étoile était bloquée dans un mouvement orbital avec un trou noir dormant d’une masse exceptionnellement élevée, environ 33 fois celle du Soleil. Il s’agit du troisième trou noir dormant découvert grâce à Gaia et il a été baptisé "Gaia BH3". Sa découverte est très intéressante en raison de la masse de l’objet. Jusqu’à présent, des trous noirs de cette masse n’étaient détectés que dans des galaxies lointaines, par le consortium LIGO/Virgo/KAGRA, grâce à l’observation des ondes gravitationnelles. La masse moyenne des trous noirs d’origine stellaire connus jusqu’ici dans notre Galaxie est d’environ 10 fois la masse de notre Soleil. Jusqu’à présent, le record de masse était détenu par un trou noir dans une binaire à rayons X de la constellation du Cygne (Cyg X-1), trou noir dont la masse est estimée à environ 20 fois celle du Soleil.

La qualité des données de Gaia a permis aux scientifiques de déterminer la masse du trou noir Gaia BH3 avec une précision inégalée. Les mesures de Gaia confirment que des trous noirs aussi massifs que ceux détectés grâce à l’observation des ondes gravitationnelles existent bel et bien. Les astronomes sont donc confrontés à la question de l’origine des trous noirs de la masse de Gaia BH3, car notre compréhension actuelle de l’évolution et de la mort des étoiles massives à l’origine des trous noirs ne permet pas d’expliquer à l’heure actuelle une masse aussi élevée pour un trou noir. La plupart des théories prévoient en effet qu’en vieillissant, les étoiles massives se débarrassent d’une partie importante de leur matière par le biais de vents puissants ; finalement, une fraction substantielle de ces étoiles massives est projetée dans l’espace lorsqu’elles explosent en supernova. Ce qui reste de leur noyau se contracte ensuite pour devenir soit une étoile à neutrons, soit un trou noir, dépendant de la masse initiale de l’étoile. Il est très difficile à ce jour d’expliquer la présence de noyaux suffisamment gros pour devenir des trous noirs d’une masse 30 fois supérieure à celle de notre soleil.

Pourtant, un indice pour résoudre cette énigme pourrait résider dans l’étoile compagne de Gaia BH3. Celle-ci, qui gravite autour de Gaia BH3 à une distance d’environ 16 fois la distance Soleil-Terre, est plutôt inhabituelle : il s’agit d’une vieille étoile géante qui s’est formée environ 2 milliards d’années après le Big Bang, à l’époque où notre Galaxie a commencé à s’assembler. Cette étoile, qui appartient au halo galactique, se déplace dans la direction opposée aux étoiles du disque galactique. Sa trajectoire indique que cette étoile faisait probablement partie d’une petite galaxie, ou d’un amas globulaire, engloutie par notre Galaxie il y a plus de 8 milliards d’années. L’étoile compagne de Gaia BH3 contient très peu d’éléments plus lourds que l’hydrogène et l’hélium, ce qui indique que le progéniteur de Gaia BH3 a dû lui aussi être une étoile massive très pauvre en éléments lourds. Cette découverte vient étayer la théorie que les trous noirs de grande masse observés par les expériences sur les ondes gravitationnelles ont été produits par l’effondrement d’étoiles massives primitives pauvres en éléments lourds. Ces étoiles primitives pourraient avoir évolué différemment des étoiles massives qui peuplent aujourd’hui notre Galaxie.

La découverte du trou noir Gaia BH3 n’est qu’un début et il reste encore beaucoup à apprendre sur sa nature déconcertante. Maintenant que la curiosité des scientifiques a été piquée, ce trou noir et son compagnon feront sans aucun doute l’objet de nombreuses études approfondies à l’avenir. La collaboration Gaia est tombée sur ce géant "endormi" alors qu’elle vérifiait l’exactitude des données préliminaires en vue de la quatrième édition du catalogue Gaia. La découverte étant si exceptionnelle, ils ont décidé de l’annoncer avant la publication officielle. La prochaine publication des données Gaia promet d’être une mine d’or pour l’étude des systèmes binaires et la découverte d’autres trous noirs dormants dans notre galaxie.


Référence :

Discovery of a dormant 33 solar-mass black hole in pre-release Gaia astrometry by Gaia Collaboration, P. Panuzzo et al., publié dans la revue Astronomy & Astrophysics.

Contact scientifique local

Carine Babusiaux, IPAG

Vidéo décrivant cette découverte :




Article adapté d’une publication de l’ESA.