Rosetta observe le cycle de la glace d’eau sur la comète

À partir des données fournies par la sonde Rosetta de l’ESA sur la comète 67P / Churyumov-Gerasimenko, via l’instrument VIRTIS, une équipe internationale [1] impliquant des chercheurs grenoblois de l’IPAG (UJF/CNRS, OSUG) apporte la première preuve observationnelle de l’existence d’un cycle quotidien de la glace d’eau à la surface de la comète. Ces résultats sont publiés ce jour dans la revue Nature.

• Rosetta est une mission de l’ESA (avec le support de ses pays membres) et de la NASA. L’atterrisseur Philae de Rosetta est fourni par un consortium composé de l’ASI, du CNES, du DLR et du MPS. Rosetta est la première mission de l’histoire à aller à la rencontre d’une comète, de l’accompagner dans son voyage jusqu’au Soleil, et d’y poser un atterrisseur.
• VIRTIS est le spectro-imageur thermique visible et infra-rouge de la sonde Rosetta de l’Agence spatiale européenne (ESA). VIRTIS doit fournir des informations quantitatives sur la composition des matériaux solides du noyau et cartographier leur distribution en surface, ainsi que des informations sur les gaz et molécules présents dans la coma. VIRTIS a été construit par un consortium sous la responsabilité scientifique de l’Institut d’astrophysique et planétologie spatiales de l’INAF (Italie), qui conduit également les opérations scientifiques. Le consortium inclut le Laboratoire d’Etudes Spatiales et d’Instrumentation en Astrophysique de l’Observatoire de Paris (France), et l’Institute fur Planetenkundung du DLR (Allemagne). Le développement de l’instrument VIRTIS a été financé et dirigé par l’Agenzia Spaziale Italiana (ASI), et le Centre national d’études spatiales (CNES) (France), et le Deutsches Zentrum für Luft und Raumfahrt (DLR)(Allemagne). Le support du Rosetta Science Operations Centre et du Rosetta Mission Operations Centre doit aussi être mentionné. Les données calibrées issues de VIRTIS seront accessibles via le site des archives de l’ESA (ESAs Planetary Science Archive - PSA).

Les comètes sont de grands agrégats de glaces et de poussières, qui perdent régulièrement une partie de leur matériel lorsqu’elles elles passent près du Soleil sur leurs orbites très excentriques. Quand la lumière du Soleil chauffe le noyau gelé d’une comète, la glace dans le sol – composée principalement de glace d’eau, mais aussi d’autres substances volatiles – sublime. Le gaz qui en résulte migre dans le sol, emportant avec lui des poussières solides : ensemble, ce mélange de gaz et de poussière constitue la coma et les queues brillantes qui rendent observables de nombreuses comètes depuis la terre.
Parvenue à destination en août 2014, Rosetta étudie de près, depuis plus d’un an, la comète 67P, surveillant la façon dont son activité augmente régulièrement au cours des mois. La comète a atteint le périhélie, le point le plus proche du Soleil sur son orbite de 6 ans et demi, le 13 août 2015, et retourne depuis lentement vers l’extérieur du Système solaire.
Une des questions ouvertes étudiée par les spécialistes des comètes concerne les processus physiques qui alimentent l’activité de dégazage. L’idée est de savoir s’il existe un mécanisme qui réapprovisionne la surface des noyaux cométaires au quotidien en glace fraîche.

Selon une étude présentée aujourd’hui dans la revue scientifique Nature, une équipe scientifique a observé de la glace d’eau qui apparaît et disparaît périodiquement sur une région de la comète. Ces observations ont été fournies par l’instrument VIRTIS, le spectromètre imageur visible, infrarouge et thermique de Rosetta, en septembre 2014 lorsque la comète d’approchait du Soleil. « Nous avons trouvé ce qui maintient la comète en vie », explique Maria Cristina de Sanctis, de l’INAF-IAPS à Rome (Italie), auteure principale de l’étude.
L’équipe a étudié un ensemble de données de VIRTIS recueillies en septembre 2014 et focalisées sur Hapi, une région située sur le « cou » de la comète. Durant cette période, la comète se trouvait à environ 500 millions de kilomètres du Soleil, et le cou était l’un des endroits les plus actifs du noyau. Lors de la rotation de la comète, qui effectue un tour complet en un peu plus de 12 heures, les différentes régions subissent des conditions d’éclairage variées. « Nous avons vu des signes révélateurs de glace d’eau sur la région de la comète que nous avons analysée, mais seulement quand cette région se trouvait dans l’ombre », ajoute Maria Cristina. « En revanche, quand le soleil brillait sur cette région, il n’y avait plus de glace. Cela indique un comportement cyclique de la glace d’eau au cours de la rotation de la comète. »

Les données suggèrent que, lorsqu’une région du noyau est éclairée, la glace d’eau sublime dans les premiers centimètres du sol, se transformant en gaz et migrant vers la surface. Lorsque cette région se retrouve à l’ombre, la surface refroidit très rapidement ; les couches plus profondes, qui ont accumulé la chaleur solaire, refroidissent plus lentement et restent plus chaudes. En conséquence, la glace d’eau sous la surface continue de sublimer et de migrer vers la surface à travers le sol poreux. Cependant, dès que cette vapeur d’eau « souterraine » atteint la surface froide, elle gèle à nouveau, créant ainsi une couverture légère de glace fraîche sur cette région. Dès que le Soleil se lève de nouveau sur cette région, les molécules dans la couche de glace nouvellement formée subliment immédiatement.

Le cycle de la glace d’eau tel qu’observé par l’instrument Virtis de Rosetta dans la région Hapi de la comète Churyumov-Gerasimenko, en septembre 2014.
© ESA

« Nous avions soupçonné qu’un tel cycle de la glace d’eau pouvait exister dans les comètes, sur la base de modèles théoriques et des observations antérieures d’autres comètes, mais maintenant, grâce à la surveillance continue par Rosetta de 67P / Churyumov-Gerasimenko, nous disposons enfin d’une preuve observationnelle », précise Fabrizio Capaccioni, responsable scientifique de VIRTIS à l’INAF-IAPS à Rome, Italie.

À partir de ces données, il est possible d’estimer l’abondance relative de la glace d’eau par rapport à d’autres matériaux. Sur la portion sondée de la surface, la quantité de glace d’eau représente jusqu’à 10 ou 15% en masse, et elle semble être intimement mélangée avec les autres composants du sol.
Les scientifiques ont également calculé la quantité d’eau qui a sublimé dans la région qu’ils ont analysée avec VIRTIS, qui représente environ 3% de la quantité totale de vapeur d’eau mesurée simultanément par MIRO, l’instrument micro-ondes pour l’orbiteur de Rosetta. « Il est possible que de nombreuses régions à la surface connaissent ce cycle, fournissant ainsi une contribution au dégazage global de la comète », ajoute Capaccioni.

Les scientifiques s’occupent actuellement de l’analyse des données recueillies lors des mois suivants, pendant lesquels l’activité de la comète a augmenté, alors qu’elle se rapprochait du Soleil.
« Ces résultats nous donnent une idée de ce qui se passe sous la surface, à l’intérieur de la comète », en conclut Matt Taylor, scientifique du projet Rosetta de l’ESA. « Rosetta a la capacité essentielle de suivre les modifications de la comète sur des échelles de temps courtes ou longues, et nous avons hâte de pouvoir combiner toutes ces informations pour comprendre l’évolution de cette comète et des comètes en général. »

Références
Ce travail de recherche fait l’objet d’un article intitulé « The diurnal cycle of water ice on cometary nuclei », par Maria Cristina de Sanctis, et al., publié dans la revue Nature, le 23 septembre 2015.
Les résultats sont basés sur des images et des spectres pris aux longueurs d’ondes de la lumière infrarouge les 12, 13 et 14 septembre 2014 par VIRTIS, le spectromètre d’imagerie visible, infrarouge et thermique de Rosetta.

Contact scientifique local
 Bernard Schmitt, IPAG-OSUG : bernard.schmitt at obs.ujf-grenoble.fr

Cette actualité est également relayée par
 l’Agence Spatiale Européenne - ESA (source)
 l’Observatoire de Paris - OBSPM
 le CNRS Alpes - DR11
 l’Université Joseph Fourier - UJF

[1Ce résultat, fruit d’une collaboration internationale, implique la participation de six chercheurs français, issus de l’Observatoire de Paris (Laboratoire d’études spatiales et d’instrumentation en astrophysique (LESIA) : Observatoire de Paris / CNRS / Université Pierre et Marie Curie / Université Paris Diderot) et de l’Institut de Planétologie et d’Astrophysique de Grenoble (CNRS / Université Joseph Fourier, Observatoire des Sciences de l’Univers de Grenoble)