Un polarimètre pour surveiller l’environnement spatial

L’instrument développé à l’Institut de planétologie et d’astrophysique de Grenoble permet d’explorer l’environnement spatial proche, dont les propriétés varient avec l’activité solaire. Le projet, accompagné par le programme de prématuration du CNRS, est maintenant entré en phase de maturation avec la Satt Linksium. L’instrument s’adresse aux secteurs des télécommunications, de la prospection pétrolière, de l’aéronautique...

© Alain Delboulbé IPAG

L’environnement spatial proche, entre 80 et 300 kilomètres d’altitude, est un milieu difficile d’accès, trop élevé pour les ballons sonde, et trop bas pour les satellites. Or, ses caractéristiques varient avec l’activité solaire et ce phénomène a un impact sur les télécommunications, les systèmes de positionnement par satellites (GPS, Galileo) et même sur les forages pétroliers, qui utilisent des cartes de champs magnétiques pour se repérer dans le sous-sol.

Les méthodes de mesure étant encore limitées, l’Institut de planétologie et d’astrophysique de Grenoble a développé un nouvel instrument pour explorer cette partie de l’environnement spatial à toutes les latitudes. Il mesure la polarisation du rayonnement émis dans cette zone de l’atmosphère.

Les phénomènes connus sous le nom d’aurores polaires, qui existent aussi sous d’autres latitudes, bien qu’invisibles à l’œil nu, se produisent dans cette couche. Ce rayonnement résulte des collisions entre le gaz neutre (la thermosphère [1]) et ionisé (l’ionosphère [2]) de l’atmosphère. Or, les électrons sont contraints de se déplacer en fonction du champ magnétique et des champs électriques présents dans la haute atmosphère. L’angle avec lequel ils heurtent les atomes et molécules n’est donc pas quelconque et cette particularité tend à polariser une certaine quantité du rayonnement émis. L’angle de la polarisation mesurée indique dans quelles directions varient les courants électriques dans la haute atmosphère, et apporte ainsi des informations sur les perturbations du champ magnétique. La proportion de lumière polarisée, appelée taux de polarisation est, quant à elle, un indicateur de l’énergie des électrons source, et donc de l’activité solaire.

© Alain Delboulbé IPAG

Ces paramètres sont mesurés grâce au polarimètre développé au Laboratoire de Grenoble. L’instrument est constitué d’une lentille polarisante rotative, d’un filtre pour sélectionner la longueur d’onde que l’on veut mesurer, et d’un photomultiplicateur. "Notre objectif était de réaliser un instrument léger, fiable, et utilisable en toutes conditions climatiques", indique Jean Lilensten, directeur de recherche CNRS à l’Institut de planétologie et d’astrophysique de Grenoble.

Un premier appareil, baptisé "Petit Cru" a été développé en six mois. Il ne mesure qu’une seule longueur d’onde à la fois, mais a permis de valider le principe du polarimètre. Les premières étapes de son développement ont été soutenues financièrement et stratégiquement, dans le cadre du programme de prématuration du CNRS.

Depuis octobre 2018, les chercheurs et ingénieurs du laboratoire sont maintenant engagés dans une phase de maturation de 18 mois, soutenue par la Satt Linksium. L’objectif de ce nouveau projet – "Grand Cru" - est de mettre au point deux instruments. Le premier ne mesurera qu’une seule longueur d’onde, mais il est conçu pour être transportable et autonome en énergie. Le second sera un démonstrateur d’un polarimètre capable de mesurer simultanément quatre longueurs d’onde [3]. En parallèle, une étude est en cours pour évaluer les opportunités de marché dans différents secteurs industriels. Le nouvel instrument devrait aussi intéresser les laboratoires de recherche spatiale.

Contact scientifique local :
  • Jean Lilensten | IPAG | jean.lilensten (at) grenoble-univ-alpes.fr | +33 4 76 51 41 49

[1La thermosphère est la partie neutre de la haute atmosphère, qui commence typiquement au-dessus de 80 km.

[2L’ionosphère est la partie ionisée de la haute atmosphère.

[3Le rayonnement des aurores polaires a lieu dans quatre couleurs majoritaires : le vert (557,7 nm, émis autour de 110 km d’altitude), le rouge (630 nm, émis autour de 220 km), le mauve (391,4 nm, émis vers 90 km) et le bleu (427,8 nm, émis vers 90 km). Les deux premières émissions sont dues à l’oxygène atomique neutre, et les deux dernières à l’azote moléculaire ionisé.