Une étoile en devenir
Des observations de la ligne des glaces révèlent l’histoire turbulente d’une proto-étoile très jeune.
C’est une histoire dont rêveraient de nombreux parents : imaginez un très jeune enfant qui ne semble pas très doué pour la musique, mais qui, en secret, a des moments d’inspiration tellement intenses, qu’il a en réalité de grandes chances de devenir une véritable star. En fait, c’est précisément ce qu’a découvert une équipe d’astronomes lorsqu’ils ont examiné la proto-étoile très jeune IRAM 04191+1522 (IRAM 04191 en abrégé). Cette proto-étoile, située à presque 500 années-lumière dans le nuage du Taureau, est encore enfouie dans son nuage moléculaire parent et grossit en accumulant le gaz et la poussière qui l’entourent jusqu’à atteindre sa masse finale. Elle est si jeune qu’elle ne tire pas encore son énergie de la fusion nucléaire, mais est simplement chauffée par le gaz qu’elle accumule par gravité. Cependant, IRAM 04191 ne semble pas produire beaucoup de cette chaleur qui la fait briller. C’est ce qu’on appelle un « objet de très faible luminosité » (un « VeLLO », acronyme de very low luminosity object). Si l’on estime le taux d’accrétion à partir de sa faible luminosité, c’est à dire la quantité de gaz accumulé dans un intervalle de temps donné, il semble que IRAM 04191 n’atteindra pas une masse suffisante pour devenir une étoile de faible masse. Elle deviendrait plutôt une naine brune, un corps céleste plus massif qu’une planète géante, mais pas assez lourd pour déclencher la fusion de l’hydrogène en son cœur. Mais est-ce vraiment la fin de l’histoire ?
Une équipe d’astronomes français, allemands et italiens menée par Sibylle Anderl et Sébastien Maret de Université Grenoble Alpes et CNRS ont utilisé l’observatoire NOEMA pour mesurer l’émission moléculaire autour d’IRAM 04191. NOEMA est un réseau de télescopes situé dans les Alpes françaises, et opéré par l’Institut de Radioastronomie Millimétrique. Ces observations font partie du projet CALYPSO (Continuum And Lines in Young ProtoStellar Objects) dont l’objectif est de comprendre les propriétés et l’évolution des proto-étoiles jeunes dans notre galaxie. La question qu’ils se sont posée est la suivante : est-ce qu’IRAM 04191 a toujours accumulé de la matière au taux actuel, ou bien la quantité de matière qui tombe sur cet objet était plus importante par le passé ? Pour répondre à cette question, ils ont utilisé la chimie.
Comme un chauffage radiant sur un sol enneigé
Les chercheurs ont observé ce qu’on appelle la « ligne des glaces ». Quand une proto-étoile chauffe le nuage moléculaire environnant, composé de gaz et de grains de poussière recouverts de glace, ils se forme une région sphérique interne dans laquelle la température est suffisamment élevée pour enlever la couche de glace autour des grains et transférer les molécules qui la composent dans le gaz — comme un chauffage radiant sur un sol enneigé crée une empreinte circulaire dans la neige. La frontière de cette région est appelée ligne des glace ou ligne de neige. Son rayon dépend de la composition de la glace : chaque molécule requiert une température différente pour s’évaporer et possède donc une ligne de glace à un rayon différent. Une fois les molécules relâchées dans le gaz, elles peuvent être observées par spectroscopie. Comme la température dans le nuage moléculaire dépend de la luminosité de la proto-étoile, le rayon d’une ligne de glace donnée fournit des informations sur cette proto-étoile : plus la ligne de glace est éloignée, et plus la luminosité de la proto-étoile est élevée.
Anderl et son équipe ont cherché à mesurer la ligne de glace du monoxyde de carbone en observant C18O, un isotopologue de cette molécule, directement. Mais la ligne de glace du CO est aussi tracée par une autre molécule : le diazenylium, N2H+, qui est détruit chimiquement par le CO et devrait en conséquence former un anneau autour de la région où le CO est présent dans le gaz. Cette forme particulière, une région d’émission circulaire de C18O entourée par un anneau adjacent de N2H+, a été observée par Anderl et ses collègues autour d’autres proto-étoiles dans une étude précédente. A leur grande surprise, il se sont aperçus qu’IRAM 04191 était différente. La ligne de glace tracée par le C18O a un rayon beaucoup plus faible que celle tracée par N2H+. « Lorsqu’on a regardé les cartes d’émission autour d’IRAM 04191, on s’est vite aperçus que quelque chose de surprenant se passait. On a donc décidé de ne pas analyser cette source avec les autres, mais de la mettre de coté et de la regarder plus en détail après » raconte Anderl.
La chimie comme outil pour observer le passé
En utilisant des modèles numériques de la proto-étoile et de sa chimie, Anderl et son équipe ont montré que la forme de l’émission dans IRAM 04191 pouvait être expliquée si sa luminosité avait changé par le passé. Cette conclusion se base sur le fait que la chimie peut être utilisée comme outil pour observer le passé. Comme les réactions chimiques prennent un certain temps, la forme de l’émission des molécules tracent parfois des conditions physiques dans le passé, conditions qui ont pu changer entre temps. Lorsque la luminosité d’IRAM 04191 a brusquement augmenté dans le passé, la température dans le nuage qui l’entoure était plus élevée, et la ligne des glaces était située plus loin de l’étoile, comme le montre l’émission de N2H+. Lorsque ce sursaut de luminosité s’est terminé, la température est redescendue. Alors que le CO s’est rapidement re-condensé sur les grains de poussières, la reformation de N2H+ en phase gazeuse a pris plus de temps, bien qu’il ne reste plus de CO pour le détruire. D’où le sillon qui sépare le C18O du N2H+. Selon ces modèles, ce sursaut de luminosité s’est produit il y a moins de quelques milliers d’années, et a fait briller IRAM 04191 plus de 150 fois plus que ce qu’elle n’apparait aujourd’hui. En supposant que ces sursauts se produisent tous les 13 000 ans comme le suggère les modèles numériques, cela signifie qu’IRAM 04191 atteindra une masse finale d’environ 20% celle du Soleil — et deviendra étoile de faible masse.
Ce résultat démontre que l’accrétion de matière autour d’une étoile de faible masse peut être extrêmement variable. Cette découverte devra être incorporée aux modèles d’évolution proto-stellaire afin de relier les images instantanées d’étoiles de différents âges en un modèle d’évolution cohérent.
Référence
Probing episodic accretion with chemistry : CALYPSO observations of the very-low-luminosity Class 0 protostar IRAM 04191+1522, S. Anderl, S. Maret, S. Cabrit, A. J. Maury, A. Belloche, Ph. André, A. Bacmann, C. Codella, L. Podio, and F. Gueth, Astronomy & Astrophysics (2020). DOI : 10.1051/0004-6361/201936926
Contacts scientifiques locaux
- Sébastien Maret, IPAG / OSUG
- Sibylle Anderl, IPAG / OSUG