L'an 2000, la même heure pour tous

Jean-Louis Monin

Laboratoire d'Astrophysique de Grenoble

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Ci-dessous le texte de cette conference.

Introduction

Une conférence sur l'an 2000 est un sujet complexe. L'an 2000, la même heure pour tous, cela évoque naturellement le temps et sa mesure et c'est un sujet bien vaste pour une seule conférence ! Vous connaissez peut-être cette phrase de St Augustin : "qu'est-ce donc que le temps ? Si personne ne me le demande, je le sais ; mais si on me le demande et que je veuille l'expliquer, je ne le sais plus".

Savons nous ce qu'est le temps ? Si nous n'en saisissons pas la "consistance", nous essayons toujours d'en mesurer l'écoulement. Le temps qui passe et sa mesure sont des préoccupations humaines d'aujourd'hui, de tous les jours, et de tous les temps ! L'homme a toujours cherché à mesurer le passage du temps, peut-être pour mieux le comprendre et essayer de croire qu'il en contrôlait la fuite…

Une histoire du temps et de l'heure est une histoire des hommes, pas seulement une histoire de l'univers. Dans cette conférence, je parlerai de quelques étapes de l'histoire de la mesure du temps, en m'attachant à en illustrer les correspondances astronomiques, et je parlerai des divers calendriers qui peuvent être construits sur la base des mouvements de la lune et du soleil. On parlera ensuite tout naturellement de l'an 2000 et du XXIe siècle (est-ce vraiment l'an 2000 pour tous ? Quand commence le 21e siècle ?). J'aborderai aussi le lien qui existe entre coordonnées de temps et coordonnées d'espace, lien qui est magnifiquement illustré par le problème des longitudes et je conclurai en évoquant le "temps de l'univers", qui a démarré il y a quelques 15 milliards d'années.

Astronomes et horlogers

La notion de temps est intimement associée à celle de mouvement. Jean d'Ormesson écrit : "il n'y a que le mouvement pour mesurer le temps, il faut que la matière se fasse ou se défasse, se déplace ou s'écoule pour rendre sensible le temps". Pour sentir, mesurer le passage du temps, on a toujours utilisé des phénomènes variables, répétitifs, périodiques. La phrase citée ci-dessus est intéressante car on y trouve évoquées plusieurs méthodes de mesure du temps : la matière qui se fait et se défait évoque le sablier, l'écoulement évoque la clepsydre inventée par les égyptiens, et le déplacement rappelle les aiguilles de la montre et le mouvement des astres dans le ciel. Avant l'invention des horloges et des montres, les astronomes furent les premiers "horlogers de l'univers". L'alternance des levers et couchers de soleil, les phases de la lune, le retour des saisons rythment les jours, les mois, et les années, et les rouages de cette horloge sont la terre, la lune, le soleil. Il y a un lever de soleil par jour, les phases de la lune se répètent tous les 30 jours (environ !), et il y a un printemps par an.

Cette horloge astronomique a longtemps été la seule référence pour la mesure du temps. Ce n'est que depuis les années soixante que la vibration de la lumière émise par un atome de Césium a remplacé la mesure d'une orbite de la terre autour du soleil pour définir la seconde, Une seconde n'est plus la 31.556.925,9747e partie de l'année (ou 1/86400 du jour solaire moyen) mais correspond maintenant à 9.192.631.770 périodes de la radiation correspondant à la transition entre deux niveaux hyperfins de l'état fondamental de l'atome de Césium. Nous sommes passés ainsi de la seconde astronomique à la seconde atomique, remplaçant un étalon quelque peu variable par un étalon fixe.

Des jours et des jours …

Quand on parle de jour, il peut être intéressant de préciser un peu les choses. Le premier réflexe consiste à attribuer au jour la durée d'une rotation de la terre sur elle-même. Or c'est un peu plus compliqué que cela. En effet, le jour dit solaire est le temps que met le soleil à repasser à la verticale d'un lieu (en toute rigueur le méridien, car le soleil ne passe "`a la verticale", c'est à dire au zénith que sous les tropiques). Or, pendant sa rotation sur elle-même, la Terre continue sa rotation autour du soleil, et ces deux rotations s'effectuent dans le même sens. La Terre effectue son orbite à la vitesse moyenne de 30 km par seconde (le 10.000e de la vitesse de la lumière, ce qui n'est pas si ridicule) et parcourt donc pendant sa journée 2,6 millions de kilomètres, plus de 200 fois son diamètre ! Pendant cette journée, l'angle sous lequel la Terre voit le soleil a changé, très peu, certes, mais de manière suffisante pour que cela prenne 4 minutes de plus pour que le soleil repasse à la verticale du lieu de la veille. Si on prend comme repère une étoile (c'est à dire si on fait les mesures la nuit au lieu de les faire en plein jour), on s'aperçoit que l'étoile mettra 4 minutes de moins que le soleil pour repasser au méridien : le jour sidéral est plus court de 4 minutes que le jour solaire. Mais cela ne change rien au fait que l'année dure 365.25 jours solaires (par définition). Et c'est l'articulation des jours solaires et de l'année que doit organiser le calendrier.

On peut maintenant aller plus loin et comprendre pourquoi le jour solaire n'a pas une durée constante toute l'année. En effet, la définition du jour liée au temps mis par le soleil pour repasser à la verticale d'un lieu dépend de la vitesse de la Terre sur son orbite, et celle-ci n'est pas une constante, car cette orbite n'est pas un cercle. L'orbite de la Terre, comme celle de toutes les planètes du système solaire est une ellipse. Il s'agit là d'une des lois découvertes par Kepler en 1600 et quelques. Sur cette ellipse, la distance Terre - soleil varie au cours de l'année : lorsque la Terre est proche du soleil, elle accélère et les jours s'allongent, lorsque la Terre est plus éloignée du soleil, elle ralentit et les jours raccourcissent. Il s'agit là évidemment de variations minimes, de l'ordre de quelques %, mais ces 3% de variations au cours de l'année, se transforment en un peu plus d'un quart d'heure de différence entre les jours courts et les jours longs. Et il ne faut pas confondre ces variations de longueur du jour avec celles induites par les saisons, c'est à dire dues à l'inclinaison de l'axe de rotation de la Terre sur son orbite. Ces variations, qui correspondent à l'été et à l'hiver sont beaucoup plus importantes et s'étendent sur des heures. Ainsi, lorsqu'on parle d'une durée de 365.25 jours par an, on compte en jour solaire moyen, en prenant en compte les variations en plus et en moins (qui se compensent !) au cours de l'année.

Il existe une autre cause de variation de la durée du jour solaire moyen, qui intervient sur des échelles de temps beaucoup plus longues, et qui est due à la dissipation de l'énergie de rotation de la terre par effet de marée. Le jour des dinosaures, il y a 100 millions d'années était plus court que le notre, il faisait environ 23 heures. Il fallait 381 jours à la Terre pour boucler une année. C'est un fait que peu à peu, la Terre ralentit sur son orbite. On doit régulièrement rajouter une seconde au dernier jour de l'année pour compenser ce ralentissement (et faire en sorte que l'été commence toujours en juin). Cet effet est le même que celui qui a amené la lune à synchroniser sa rotation sur elle-même avec sa rotation autour de la Terre et qui lui fait nous présenter toujours la même face. L'avenir de la Terre est de présenter toujours la même face au soleil, comme Mercure. On va donc vers un avenir (lointain !) où le calendrier sera très simple : le jour sera égal au mois (lunaire) et égal à l'année.

Cadran solaire et premières horloges

Le cadran solaire inscrit au bout de son ombre la trace de la course du soleil. A midi solaire, le cadran marque midi. Si le cadran solaire est horizontal, il est nécessaire d'avoir un gnomon (le bâton qui projette l'ombre) parallèle à l'axe de rotation de la Terre (l'axe autour duquel tourne en apparence le soleil), et pour cela, on utilise la latitude du lieu (quelques 45o en France). Le jour solaire vrai n'étant pas constant au cours de l'année (du fait des variations de vitesse de la terre sur son orbite), si on veut pouvoir utiliser le cadran solaire comme horloge, il est nécessaire de tenir compte de l'équation du temps qui donne le décalage entre le temps solaire ("élastique") et le temps de l'horloge (régulier). Ce décalage peut aller jusqu'à un peu plus de 15mn selon la période de l'année, ce qui n'est pas négligeable.

Mais il fait nuit la moitié du temps et parfois mauvais temps, et le cadran solaire a du être au cours des siècles complété par des moyens plus durables. L'horloge à eau ou Clepsydre, utilisée par les Egyptiens, permet de compter des intervalles de temps égaux à partir de l'écoulement d'un filet d'eau. De l'écoulement du temps à l'écoulement de l'eau, l'idée se poursuit avec le sablier qui ne craint pas le gel. Mais ce dernier compte difficilement de longues durées de temps. L'invention de l'horloge mécanique a été une invention majeure pour synchroniser les actions des hommes entre eux, pour dominer le voyage en mer (par la détermination des longitudes), par la définition qu'elle a donné à la civilisation dite occidentale. On peut également noter que de l'écoulement de l'eau au battement de l'horloge, le temps est "numérisé". Les tic-tac des horloges sont les premières cris de l'incursion du numérique (celui des CD-rom et autres DVD) dans notre vie. La précision de l'horloge dépend de la rapidité de ses battements, comme la qualité d'un enregistrement numérique dépendra du nombre de 'bits' utilisés le codage. Après les battements mécaniques sont venus au 20e siècle les battements électroniques grâce auxquels nous pouvons nous repérer par satellite à 10cm près, ou vérifier que la terre ralentit sa rotation de près d'un seconde tous les 400 siècles.

Construire un calendrier

Le jour correspond au temps nécessaire pour que le soleil repasse au méridien d'un lieu donné ; ce n'est pas forcément le temps que met la terre pour effectuer un tour sur elle-même. le mois (lunaire) correspond au temps que met la lune à revenir dans la même phase (par exemple la nouvelle lune), l'année correspond au temps que met la terre pour effectuer un tour autour du soleil. Et le gros problème est que ces trois durée ne sont pas des multiples entiers les unes des autres ! Un mois lunaire fait (environ) 29.5 jours et une année fait 365,242199 jours. Il n'y a donc pas exactement une pleine lune par mois (certaines années ont 13 pleines lunes) et les anciens calendriers lunaires (basés sur le cycle des phases de la lune, avec des mois identiques de 30 jours par exemple) avaient des années incomplètes. On était amené à rajouter des jours en fin d'année pour boucler le tour de la terre autour du soleil, autrement dit pour ajuster le rythme des jours et le rythme des saisons.

Calendrier Julien et années bissextiles

Avant la réforme imposée par Jules César (sur les recommandations de l'astronome Sosigène), le calendrier romain avait 355 jours. Après cette réforme, qui a donné le calendrier Julien, l'année comporte 365 jours, Mais en effectuant des observations précises, on s'aperçoit que l'année fait en fait 365.25 jours, il manque donc un quart de jour par an. On compense ce décalage  en inventant l'année bissextile (un 29 février tous les 4 ans), qui permet de rattraper le quart de jour manquant. Mais comme l'année ne fait pas exactement 365,25, il existe un décalage supplémentaire de quelques 8 millièmes de jour par an qui finit par s'accumuler, donnant environ un jour par siècle. C'est ainsi que malgré sa relative précision, le calendrier Julien dérive peu à peu par rapport à la rotation de la terre autour du soleil, c'est à dire par rapport à l'année. En d'autres termes, le jour se lève bien tous les matins, les phases de la lune se succèdent bien mois après mois (avec le plus souvent 12 pleines lunes par an, mais avec parfois 13 pleines lunes), mais si on ne synchronise pas bien le déroulement des jours, le rythme des saisons dérive peu à peu et on peut se retrouver avec l'été (par exemple le mois de juillet) commençant aux premières neiges.

Calendrier Grégorien

En fait, c'est la nécessité de fixer la position de la date de Pâques qui a incité les autorités, c'est à dire les autorités religieuses, à réformer au 16e siècle le calendrier Julien. En 1582, le pape Grégoire XIII décide de supprimer 10 jours pour fixer au 11 mars la date de l'équinoxe de printemps, donnant naissance au calendrier Grégorien, encore utilisé de nos jours. C'est ainsi que la nuit du 4 octobre 1582 est la plus longue depuis longtemps : les gens s'endorment le 4 octobre et se réveillent le 15 ! Mais il ne suffit pas de rattraper le retard, il faut tenir le rythme : pour augmenter la précision et tenir compte des petits 0.008 jours par an qui manquent encore, le calendrier Grégorien rationne les années bissextiles pour supprimer 3 jours tous les 4 siècles : a priori les années séculaires (1800, 1900, 2000, etc.) ne sont pas bissextiles, sauf celles divisibles par 400, C'est ainsi que 1900 n'a pas été bissextile mais l'an 2000 est bissextile.

L'histoire de l'adoption du nouveau calendrier montre à quel point en matière de mesure du temps, on va bien au delà de mesures scientifiques. Si le calendrier Grégorien fut rapidement adopté par les pays de confession catholique (Rome, bien sûr, ainsi que l'Espagne et le Portugal), le changement mis près de deux mois à être appliqué dans la France d'Henri III, où on passa du 9 décembre au 20. Et bien entendu, il fut beaucoup plus long à être accepté par les pays protestants qui préféraient -selon la citation de Kepler- "être en désaccord avec le soleil plutôt que d'accord avec le pape". Et plus on attend, plus le calendrier officiel se décale par rapport au calendrier solaire, Ainsi l'Angleterre dut décaler son calendrier de 11 jours au lieu de 10 (ce qui peut permettre de calculer au bout de combien d'années les anglais se sont décidés !), et la Russie Orthodoxe résista encore plus longtemps … et dut décaler son calendrier de 13 jours.

Des mesures … astronomiques

Quand on discute de calendrier et de mesure du temps, il est toujours difficile de réaliser que ces mesures précises sont basées sur des observations répétées pendant des nuits, des mois et des années. Il est ahurissant de constater que 130 ans avant JC, l'astronome Hipparque avait découvert la précession des équinoxes, et mesuré la durée de l'année à 5 minutes près, et la durée d'une lunaison à une seconde près !

En quelle année sommes-nous ?

Nous avons fait grand cas du passage à l'an 2000, peut-être parce que nous avons tous été enfants à l'époque des 30 glorieuses, où l'an 2000 était censé nous apporter le bonheur par le progrès et nous a fait rêver pendant des années, passionnés que nous étions par les 3 petits zéros bien alignés. Mais combien d'hommes sur terre pensent comme nous que nous sommes en l'an 2000 ? En fait, il existe de nombreux calendriers pour lesquels l'an 2000 sera une année "numérique" comme les autres. L'an 2000 n'a de sens que pour ceux qui adhèrent à la vision de ce qu'on pourrait résumer comme l'occident chrétien. Le calendrier Grégorien est correctement calé -à long terme- sur la durée de l'année, c'est à dire que sa période est correcte du point de vue astronomique, mais son origine -l'an zéro, ou l'an un- est arbitraire, elle est définie par des raisons humaines, politiques. Je suis tenté de faire un parallèle avec la graduation des longitudes sur le globe terrestre : il y a un méridien tous les 15 degrés, pour 360 degrés de tour, mais la position du méridien d'origine -la longitude zéro- est entièrement arbitraire, uniquement déterminée par l'équilibre des forces humaines au moment du choix. De fait, Greenwich et Paris se sont affrontés jusqu'en 1884 pour la propriété du méridien zéro. Dans l'aventure de Tintin intitulée "le trésor de Rackham le rouge", Tintin et le capitaine Haddock sont à la recherche d'un trésor caché par un lointain ancêtre du capitaine, et l'île au trésor reste introuvable -malgré le pendule de Tournesol- car le capitaine fait le point par rapport au méridien de Greenwich alors que le chevalier de Hadoque, son ancêtre, l'a fait par rapport au méridien de Paris. Et quand on sait que la longitude de Paris est de 2 degrés et 20 minutes Est, et qu'un degré de longitude correspond à 110km à l'équateur, on comprend que la référence des longitudes est importante pour mesurer une position. Tout le monde mesure en degrés, encore faut-il compter à partir de la même origine.

Espace et temps : le mètre universel

De même que la seconde a longtemps été définie comme une fraction du jour solaire moyen, le mètre a longtemps été défini comme une partie du méridien terrestre. Ce n'est que récemment que la vitesse de la lumière a été élevée au rang de constante universelle et que le mètre a été redéfini comme la distance parcourue par la lumière en 1/300.000e de seconde, laquelle seconde est définie par rapport à une vibration de l'atome de Césium. Au delà des changements de méthode utilisée pour définir des quantités dont on peut penser que de toute façon elles existent peu importe la façon dont on les définit ou les mesure, cette "intronisation" des quantités fondamentales de notre univers indépendamment de la Terre et son orbite, me semble une révolution dans la foulée de celle introduite par Galilée lorsqu'il affirmait que la Terre n'était pas le centre du monde. Nous avons toutes les raisons de penser que les lois physiques sont les mêmes dans tout l'univers (les atomes de Césium y sont partout les mêmes, la vitesse de la lumière y est partout la même), et ces nouvelles définitions du mètre et de la seconde les rendent universels.

Il est intéressant d'utiliser le lien que tisse la lumière entre le temps et l'espace pour considérer un instant à quelle précision on a affaire lorsqu'on utilise le temps atomique. Si un millionième de seconde apparaît d'une très grande précision si on doit donner l'heure de départ d'un train, il n'en va plus de même si on réalise que cette même durée, utilisée par un satellite GPS pour déterminer -via une onde radio- l'altitude d'un avion, correspond à un écart de 300 mètres ! De nombreux accidents ont lieu pour beaucoup moins ! Même le milliardième de seconde entraîne encore un décalage de 30 centimètres. Aujourd'hui, on atteint dans la mesure du temps des précisions parmi les plus élevées dans les mesures physiques,

Temps et position : le mystère des longitudes

La mesure des longitudes est restée pendant des siècles un problème insoluble. Les plus grands noms de la science des 17e et 18e siècles s'y sont cassés les dents. Le problème est le suivant : il est relativement simple de repérer la latitude d'un lieu en mesurant l'élévation du soleil au-dessus de l'horizon à midi (moment de son élévation maximum lors du passage au méridien) à l'aide d'un sextant par exemple. Si on est sous les tropiques (latitude égale à 23.5°, angle d'inclinaison de l'axe de rotation de la terre, repéré par rapport au plan de son orbite autour du soleil), le soleil passe au zénith à midi. Mais comme la rotation de la terre est la même en tout lieu, rien dans la position du soleil ne permet de déterminer à quelle longitude, sur quel méridien, on se trouve. Autrement dit, quand il est midi en un lieu, il est midi sur tout le méridien, et il sera de même midi un peu plus tard pour un méridien plus à l'ouest, comme il était midi un peu plus tôt le long d'un méridien plus à l'est. Oui, mais quel méridien ? Une autre façon d'illustrer la complète relativité de la longitude d'un lieu, est de rappeler que le choix d'une longitude zéro est totalement arbitraire, et relève d'un choix politique, c'est à dire du rapport de forces entre pays, et non d'un choix objectif, contrairement à la position du "parallèle zéro", l'équateur. Lorsque les marins partaient à l'aventure sur les mers, il leur était facile de naviguer à latitude constante (le long d'un même parallèle) mais ils perdaient rapidement la mesure de leur longitude, autrement dit, ils ne savaient plus où ils étaient. Cela a parfois déclenché des naufrages abominables et rendait presque impossible le fait de retrouver une île ou une terre précédemment découverte, d'où l'enjeu politique énorme que représentait ce problème pour la domination des mers. Les pays se livraient à des expériences innombrables, l'espionnage battait son plein pour découvrir la méthode utilisée par le voisin, on a même fait des expériences avec des animaux. L'Angleterre (après d'autres) avait fini par proposer un prix … astronomique, à qui inventerait un moyen précis et fiable de mesurer les longitudes (20.000 Livres en 1700, soit l'équivalent de plusieurs millions de dollars actuels).

Il y a théoriquement plusieurs méthodes pour trouver la longitude d'un lieu. On peut évidemment utiliser des observations astronomiques (analogues à la mesure de la hauteur du soleil sur l'horizon à midi, qui donne la latitude), mais ces observations sont longues, très difficiles à mener en pleine mer sur un bateau qui tangue, et nécessitent ensuite des calculs très complexes. Mais la méthode la plus directe repose "simplement" sur la mesure de l'heure locale, comparée à celle d'une pendule marquant l'heure du lieu de départ (dont on a fixé la longitude). Pour chaque heure de décalage, on compte 15 o de longitude (360o pour 24 heures) et un degré à l'équateur vaut 110km. Le problème essentiel dans cette seconde méthode, a priori beaucoup plus évidente que la première, est de garder à bord une horloge marquant l'heure du lieu de départ sans se dérégler. Cela nous paraît aujourd'hui tout simple, mais c'était en fait impossible à une époque où les mouvements de roulis et tangage, les différences de température et de salinité rencontrées à bord d'un navire, déréglaient rapidement les meilleures horloges. La solution de cette question a donc vu s'affronter l'école des astronomes et l'école des horlogers, les "savants" et les artisans. Et c'est en 1714 qu'un horloger Anglais du nom de John Harrison réalisa une merveille de "garde-temps" qui pouvait être emportée sur les mers et conserver à bord une mesure de l'heure Londonienne, permettant du même coup de déterminer avec précision la longitude du navire par rapport au méridien de Greenwich.

La ligne de changement de date

Les méridiens marquent sur la terre les changement successifs d'heure locale, de telle manière qu'en voyageant vers l'ouest, on gagne du temps sur le soleil, tandis qu'en voyageant vers l'est, on en perd. En voyageant suffisamment vite, on peut même arriver "avant d'être parti" (en temps local), comme le Concorde dans son vol supersonique Paris - New York, ou gagner malgré tout son pari de tour du monde en ballon comme Phileas Fog parce qu'il avait volé vers l'ouest. On ne peut cependant pas remonter le temps indéfiniment en tournant autour de la terre, et il a bien fallu fixer sur le globe une ligne dite de changement de date -comme dans l'île du jour d'avant d'Umberto Eco- qui sépare pour une heure donnée (qui change tout le temps !) le jour et la veille ou le jour et le lendemain, selon de quel coté de la ligne on se trouve. Il faut bien faire la différence entre la ligne (qu'on pourrait appeler "ligne de minuit") qui glisse sur le globe de 15o par heure d'est en ouest, et la ligne de changement de date qui est fixe sur le globe et où l'heure change sans cesse (comme partout d'ailleurs). Théoriquement, cette ligne devrait être un méridien (quoiqu'on se satisfait très bien de "lignes" de changement d'heure aux frontières des états qui ne sont pas forcément des lignes droites), mais l'essentiel est qu'elle passe en un lieu aussi vide d'habitant que possible. La ligne de changement de date (la ligne rouge) passe quelque part dans l'océan pacifique près des îles Fidji.

Le temps de l'Univers

Quelle heure est-il sur la lune ? Sur le soleil ? Sur Andromède ? Cette question a doublement peu de sens. D'une part, à quelle horloge faudrait-il mesurer cette heure-là sur terre ? Et d'autre part, quand nous voyons la lune, nous la voyons telle qu'elle était il y a une seconde. C'est suffisamment peu pour que nous pensions voir la lune telle qu'elle est de même que nous voyons la montre à notre poignet telle qu'elle est, ou très très peu s'en faut (un milliardième de seconde), mais le temps que met la lumière à parcourir le chemin qui nous sépare de certains astres éloignés devient rapidement non négligeable. Lorsque nous regardons un coucher de soleil, celui-ci est déjà couché depuis 8 minutes. Et lorsque nous regardons Jupiter en hiver (en ce moment), c'est près de 40 minutes en arrière dans le temps que nous regardons. C'est une loi de l'astronomie : quand nous regardons loin, nous regardons dans le passé. Nous n'avons aucun moyen de savoir avec certitude comment est la galaxie d'Andromède "maintenant" ; nous la voyons aujourd'hui comme elle était il y a 2 millions d'années ! En fait cette question n'a pas vraiment de sens ; ce que nous connaissons de la physique, ce que nous savons du monde dans lequel nous vivons aujourd'hui nous enseigne que nous ne pouvons pas être ici sur Terre et savoir comment est Andromède au même moment.

Cela peut paraître frustrant mais c'est en fait une chance incroyable : il suffit de construire des télescopes de plus en plus puissants pour voir de plus en plus loin non seulement dans l'espace mais aussi dans le passé de l'univers. Nous pouvons voir "en même temps" (aujourd'hui sur Terre) des parties de notre univers à des ages différents, de plus en plus loin en arrière dans son passé. Et pour ce qui est de son histoire, nous voyons les galaxies dans l'univers s'éloigner les unes des autres, de telle sorte que nous pensons qu'en un temps reculé (10 milliards d'années environ), toute la matière visible dans l'univers était rassemblée en un même point. Ce point de départ de l'univers que nous connaissons a marqué le début du temps que nous mesurons maintenant en écoutant battre le cœur des atomes. Dans le calendrier cosmique, nous sommes `a la "date" 12 milliards d'années de l'ère du big bang.