Des grains arrondis observés sur Mars… depuis l’espace !
Alerte presse publiée par l’INSU le 22 septembre 2016
Comme l’annonce la revue Planetary and Space Science dans le numéro de Septembre 2016, des signes d’un écoulement d’eau persistant dans un passé lointain de la planète Mars ont été découverts grâce à la microtexture de la surface. L’étude, menée par Jennifer Fernando[1] du laboratoire Géosciences Paris Sud (CNRS/Université Paris-Sud) et du Lunar and Planetary Laboratory (University of Arizona), Frédéric Schmidt du laboratoire Géosciences Paris Sud (CNRS/Université ParisSud) et Sylvain Douté de l’Institut de Planétologie et d’Astrophysique de Grenoble (CNRS/Université Grenoble Alpes) est basée sur une approche innovante qui permet de caractériser la forme des grains des matériaux en surface depuis l’orbite de Mars. Cette méthode permet de détecter la forme des grains (de taille inférieure à quelques centimètres) depuis l’espace alors que l’imagerie spatiale ne permet que de distinguer des détails de quelques mètres. La détection de grains arrondis à différents endroits martiens, où l’eau liquide semble avoir joué un rôle important, semble suggérer une érosion aqueuse durant un laps de temps suffisant pour avoir émoussé les grains.
Différents témoins attestent la présence d’eau liquide dans le passé de Mars, comme les réseaux ramifiés de rivières ou les minéraux hydratés. Aujourd’hui, se pose la question de la présence d’eau liquide qui pourrait se manifester soit de manière sporadique et en faible quantité, soit de manière pérenne et abondante.
Sur Terre, un des signes géomorphologiques d’un écoulement d’eau persistant est la présence de grains arrondis, polis par le déplacement au fond des rivières. En effet, les sédiments de montagne, proches de la zone d’érosion majeure ont des formes angulaires complexes tandis que les sédiments charriés sur de longues distances, déposés proches des estuaires, sont plus fins mais aussi plus arrondis. Dans les déserts, le vent peut également arrondir les grains de sable par érosion au cours de leur transport. Ainsi la forme des grains peut constituer un bon traceur de l’intensité des processus géologiques.
Sur Mars, les robots géologues peuvent étudier avec précision la morphologie des grains in situ grâce à l’acquisition d’images en haute résolution. Le rover Curiosity a pu, par exemple, mettre en évidence la présence de galets arrondis attestant un dépôt dans un environnement fluvial avec une érosion aqueuse importante. Ce type de données, bien qu’indispensable pour la caractérisation de l’histoire géologique de la région, reste cependant limité aux sites explorés par les robots martiens au sol.
Pour contourner cette limitation, une équipe de chercheurs a proposé une méthode innovante permettant de caractériser la texture des grains (e.g., forme, rugosité) grâce à l’analyse quantitative de mesures de télédétection spatiale depuis l’orbite, permettant ainsi d’explorer un plus grand nombre de sites martiens. Ces mesures, acquises par l’instrument CRISM (Compact Reconnaissance Imaging Spectrometer for Mars) à bord de la sonde américaine Mars Reconnaissance Orbiter, permettent d’étudier l’intensité de la lumière réfléchie par la surface dans différentes directions. D’après des mesures de laboratoire antérieures, effectuées sur des échantillons analogues, il est possible de connaitre les propriétés des grains : les grains ayant une forme angulaire et complexe, vont réfléchir plus la lumière du côté éclairé alors que les grains ayant une forme plus arrondie vont réfléchir plus la lumière du côté opposé. Ainsi grâce à cette approche, des informations sur la forme des grains peuvent être obtenues à distance (voir figure 1), sans fouler le sol à étudier !
L’étude montre que certains sites martiens (comme le cratère Holden, le cratère Eberswalde ou encore les plateaux de Mawrth Vallis) dont les indices géomorphologiques (deltas, vallées fluviales) et spectroscopiques (minéraux hydratés) suggèrent une activité aqueuse passée, semblent être composés majoritairement de grains arrondis (voir figure 1) pouvant attester une érosion aqueuse durant un laps de temps suffisant pour avoir poli les grains. Ce résultat suggèrerait donc la présence passée de l’eau liquide à la surface de Mars de manière abondante et pérenne.
Les auteurs ont également étudié d’autres sites martiens ayant des contextes géologiques variés (e.g., volcanique, éolien, évaporitique) et les résultats ont révélé une grande diversité de formes des grains de la surface de Mars (voir figure 1). Au cours de son histoire géologique, Mars aurait expérimenté divers processus, enregistrés dans des roches qui seraient encore préservées à sa surface.
C’est la première fois que l’on détecte à distance une telle diversité de texture de grain, et notamment des surfaces composées de grains arrondis, sur un corps planétaire autre que la Terre, grâce à la télédétection spatiale. L’estimation de la texture des matériaux de surface par cette méthode permettra, à l’avenir, d’aider à la sélection de prochains sites d’exploration pertinents pour l’étude de l’habitabilité dans le Système Solaire.
Source :
Fernando, J., Schmidt, F. & Douté, S. 1er septembre 2016, Martian surface microtexture from orbital CRISM multi‐angular observations : A new perspective for the characterization of the geological processes, Planetary and Space Science, Elsevier BV, 128, 30‐51, 1er septembre 2016. http://dx.doi.org/10.1016/j.pss.2016.05.005
Contact scientifique local :
– Sylvain Douté, IPAG/OSUG : sylvain.doute (at) univ-grenoble-alpes.fr 04 76 51 41 71
Note
1. Jennifer Fernando était au laboratoire Géosciences Paris‐Sud au moment de ces travaux.