Des signaux de fumée en provenance du trou noir super-massif de la Galaxie
Une équipe internationale [1], impliquant l’IPAG / OSUG (CNRS, UGA), vient de découvrir l’existence de deux bulles de gaz chaud s’échappant jusqu’à des distances d’environ 500 années-lumière, de part et d’autre de l’environnement du trou noir massif situé au centre de notre Galaxie. Ces résultats sont publiés dans la revue Nature du 21 mars 2019.
Tout comme les messages des amérindiens transmis par des bulles de fumée visibles de loin, les « cheminées de gaz chaud » s’échappent de part et d’autre de l’environnement du trou noir massif situé au centre de notre galaxie, jusqu’à des distances d’environ 500 années-lumière. Ces bulles de gaz chaud, qui nous renseignent sur l’activité passé intense du trou noir et des régions centrales galactiques, viennent d’être découvertes par une équipe internationale dont fait partie le département d’astrophysique du CEA-Irfu et des chercheurs du CNRS.
Un monstre endormi
Les régions situées au centre de la Voie lactée représentent un véritable laboratoire pour l’astrophysique des hautes énergies. Elles ont déjà fait l’objet de nombreuses études, notamment en rayons X, qui permettent de détecter les phénomènes les plus énergétiques de la région dont le gaz très chaud dans les environs immédiats du trou noir supermassif Sagittarius A*, situé au centre de notre galaxie. Ce trou noir central, de plus de 4 millions de fois la masse du Soleil, est actuellement largement inactif. Jusqu’ici, il est responsable seulement d’un fort rayonnement d’ondes radio et d’une très faible émission de rayons X.
Pourtant, l’observation récente par le satellite gamma de hautes énergies Fermi de larges structures vers le centre galactique, baptisées « bulles de Fermi [2] », laisse soupçonner une possible violente activité dans le passé.
Des cheminées de gaz chaud
De 2016 à 2018, une équipe de chercheurs a mobilisé le satellite européen XMM-Newton pour établir une carte à grande échelle de l’émission en rayons X de la région du centre de la galaxie. Cette équipe, composée d’astrophysiciens du département d’astrophysique du CEA-Irfu, du CNRS, du laboratoire Astroparticule et cosmologie de Paris (APC, CNRS/Université Paris Diderot/CEA/Observatoire de Paris) et de l’Institut de planétologie et d’astrophysique de Grenoble (IPAG, CNRS/Université Grenoble Alpes) avec le soutien du Centre national d’études spatiales (CNES), ont établi près de cinquante nouvelles observations sur une durée de plusieurs dizaines d’heures. Ces dernières se sont jointes aux observations déjà acquises par le satellite, en orbite depuis près de vingt ans, et ont permis d’aboutir à une image spectaculaire.
La carte de l’émission en rayons X couvre une région de 1800 par 1500 années-lumière à la distance du centre galactique. Elle a révélé l’existence de véritables "cheminées" de gaz, deux structures en forme de cylindres, qui semblent remplies d’un gaz très chaud à des températures de plusieurs millions de degrés, et s’échappant de part et d’autre du centre de la galaxie. Ces cheminées culminent jusqu’à une hauteur d’environ 500 années-lumière, perpendiculairement au-dessus du plan galactique, exactement dans l’axe des bulles de Fermi.
Pour Andrea Goldwurm, du Département d’Astrophysique du CEA au laboratoire Astroparticule et cosmologie de Paris, et co-auteure de cette étude : « L’hypothèse la plus convaincante est que les cheminées de gaz chaud que nous avons découvertes pourraient être le canal qui transporte l’énergie de la région active du centre de la Galaxie vers l’extérieur, alimentant ainsi les bulles de Fermi, comme le suggère leur morphologie. »
Néanmoins, le lien immédiat avec le trou noir super-massif n’est pas totalement éclairci, comme le rappelle Maïca Clavel, chercheure CNRS à l’Institut de planétologie et d’astrophysique de Grenoble et co-auteure de cette publication : « Bien que ce lien ne puisse pas être entièrement exclu, en raison de l’intermittence probable de l’injection d’énergie provenant des régions centrales, la carte de l’émission radio du trou noir n’appuie pas directement l’idée que les cheminées sont une continuation des lobes radio internes. »
En dehors du trou noir massif, le centre de la galaxie est en effet très riche en étoiles. Il ne peut être exclu que l’explosion en chaine d’étoiles (supernovae) ou qu’un vent de particules issu d’étoiles très massives, soit également une source d’énergie importante alimentant le gaz chaud des cheminées.
Néanmoins, le lien établi entre les cheminées de gaz découvertes par XMM et les grandes bulles de Fermi est un indice important démontrant que l’activité du centre de notre galaxie été très intense dans le passé, il y a seulement quelques millions d’années. Le trou noir central est plus que jamais sous surveillance.
Source
An X-ray Chimney extending hundreds of parsecs above and below the Galactic Centre, G. Ponti, F. Hofmann, E. Churazov, M. R. Morris, F. Haberl, K. Nandra, R. Terrier, M. Clavel, A. Goldwurm, Nature, March 21st, 2019 and Nature News & Views
DOI : 10.1038/s41586-019-1009-6
Contact scientifique local
– Maïca Clavel, IPAG/OSUG | maica.clavel univ-grenoble-alpes.fr
► Cet article a initialement été publié par l’INSU
Publié le 21 mars 2019
[1] impliquant des chercheurs du CEA et du CNRS
[2] « Bulles de Fermi » : Découvertes en 2010, les « bulles de Fermi » sont deux larges volumes d’émission en rayons gamma de très hautes énergies (GeV), s’étendant sur environ 25 milliers d’années-lumière, de part et d’autre du plan galactique. Si témoignent d’une activité exceptionnelle au cœur de notre galaxie, leur origine reste un mystère. Leur association directe avec le trou noir central n’a pu encore être démontrée de façon certaine.