Premières images d’une étoile cannibale

Images de la binaire SS Leporis à 3 époques différentes, avec en rouge la géante rouge froide et en bleu son compagnon cannibale, plus chaud. Ces images ont été obtenues avec l’instrument PIONIER installé au VLTI. Leur finesse est 50 fois supérieure à celle du télescope spatial NASA/ESA Hubble. (c) PIONIER/IPAG/ESO

Des astronomes de l’Institut de planétologie et d’astrophysique de Grenoble (IPAG, CNRS/Université Joseph Fourier Grenoble) et de l’Observatoire européen austral (ESO) viennent d’obtenir la meilleure image jamais réalisée d’une étoile cannibalisée par sa compagne stellaire. En combinant le Very Large Telescope Interferometer (VLTI) de l’Observatoire de Paranal de l’ESO au Chili, à l’instrument PIONIER, les scientifiques ont créé un télescope virtuel de 130 mètres de diamètre, permettant ainsi d’observer ce système d’étoiles binaire avec une précision inédite et de mieux comprendre son comportement atypique. Ces travaux sont publiés le 7 décembre 2011 dans la revue Astronomy & Astrophysics.

Située dans la constellation du Lièvre, SS Leporis est un système d’étoiles binaire inhabituel. Depuis longtemps, les astronomes suspectent l’étoile la moins évoluée de cannibaliser sa compagne vieillissante, une géante rouge froide, qui se trouve être la plus évoluée mais aussi, paradoxalement, la moins massive des deux étoiles [1]. Cette propriété atypique témoigne d’une forte voracité de la part de l’étoile peu évoluée, au point d’inverser les rapports de masse. Pour mieux comprendre la nature et l’importance de ce phénomène, il était nécessaire d’étudier la dynamique du système et d’en observer les parties les plus internes, jusqu’alors invisibles pour les télescopes classiques.

En effet, observée depuis la Terre, SS Leporis apparaît, sur la voute céleste, à peine plus grosse qu’un homme à la surface de la Lune. Afin de pouvoir observer des détails sur un objet aussi petit, l’équipe conduite par Nicolas Blind (IPAG) et Henri Boffin (ESO) a utilisé l’instrument PIONIER [2] attaché au VLTI de l’ESO. En combinant la lumière collectée par quatre télescopes de 1,80 mètre de diamètre du VLTI, cet instrument permet d’obtenir l’équivalent d’un télescope géant de 130 mètres de diamètre [3]. Les scientifiques ont alors pu obtenir les premières images à très haute résolution angulaire de ce système d’étoiles intriguant, révélant ainsi sa rotation et sa morphologie.

Les données acquises montrent que la distance séparant les deux étoiles est légèrement supérieure à la distance entre le Soleil et la Terre, et que la géante rouge s’avère moins grande que prévu, sa taille étant comparable à l’orbite de Mercure. Ces deux facteurs font que la géante a sans doute cédé près de la moitié de sa masse initiale non pas sous la forme d’un pont de matière vers l’étoile cannibale chaude, comme on le pensait, mais plutôt sous la forme d’un vent stellaire expulsé par la géante et capturé par l’astre le plus chaud. Bien que ce transfert soit beaucoup moins important et plus progressif que supposé par le passé, son efficacité permet d’expliquer les propriétés actuelles surprenantes de SS Leporis.

Ces observations démontrent la nouvelle capacité d’imagerie à très haute résolution angulaire du VLTI permise par PIONIER, et ouvrent des perspectives fascinantes pour l’étude d’autres systèmes d’étoiles binaires en interaction.

Références :
An incisive look at the symbiotic star SS Leporis. Milli-arcsecond imaging with PIONIER/VLTI Author(s) : N. Blind, H.M.J. Boffin, J.-P. Berger, J.-B. Le Bouquin, A. Mérand, B. Lazareff, G. Zins
Astronomy & Astrophysics. Blind et al. 2011, A&A, 536, A55 – 7 décembre 2011
Communiqué de presse sur le site du CNRS

[1Une étoile évoluant d’autant plus vite qu’elle est massive, la géante était sans doute à l’origine la composante la plus massive du système

[2PIONIER pour Precision Integrated-Optics Near-infrared Imaging ExpeRiment. Installé sur le VLTI au Chili en octobre 2010, cet instrument astronomique a été développé par les chercheurs de l’IPAG au sein de l’Observatoire des Sciences de l’Univers de Grenoble (OSUG).

[3A titre de comparaison, les plus grands télescopes actuels mesurent entre 8 et 10 mètres de diamètre, et le futur télescope géant de l’ESO, l’E-ELT, mesurera 40 mètres.